YVES MICHAUD – 1984 Dans les peintures et dessins d'Eric Dalbis, sans titre, figurent des silhouettes emmêlées à peine définies . On devine ou imagine qu'il s'agit de luttes ou de combats, avec parfois une tonalité érotique, sans rien de plus précis ou distinct . Dans les peintures à l'huile, ces figures sont enfouies ou cimentées sous de multiples couches de couleur d'où le peintre les a fait réapparaître, d'où il les a excavées, après les y avoir enfouies ou plutôt murées . Les contours des dessins s'efforcent d'être les plus légers et les moins distincts possibles, ou bien ils ont été obscurcis par l'estompage, noyés dans un halo de graphite .Toutes ces oeuvres montrent une volonté de monochromie au prise avec un violent désir d'image, un affrontement entre le silence ou l'aveuglement et le désir de voir et faire voir . Il s'agit autant de retrouver la figure que de la perdre , de l'empêcher en tous cas de devenir trop présente . Il faut qu'elle soit à peine là, mais dans cette discrétion elle est est aussi envahissante qu'une énigme . Les références de ce travail sont diverses , cohérentes et conscientes . En parler n'est pas suggérer des patronages trop lourds à porter ni souligner des clins d'oeil entendus . Eric Dalbis a plutôt des intérêts profonds à travers lesquels il se définit . Les lignes du dessin cherchent à mettre en place le mouvement d'une scène ; en nuée ou écheveau, très arrondies et mêlées, au bord de l'incertain, elles esquissent des figures en suivant les rêveries de la main . Comme dans certains dessins de Delacroix , leur incertitude est signe de disponibilité et d'ouverture à ce qui peut surgir et prendre forme . Il ne s'agit pas de dessiner des personnages en situation, mais d'esquisser une action, de suggérer une scène en mouvement . L'enchevêtrement de ces mouvements rappelle aussi celui des Massacres d'André Masson et ce sont bien des meurtres qui sont ici rêvés et presque enveloppés dans la douceur des traits . Les peintures montrent le même partage . Elles ont les couleurs sourdes d'immobilité et de recueillement de Morandi ,mais paradoxalement ces couleurs viennent ici éterniser et mettre à une distance presque paisible l'inavouable . La structure en rectangles enchâssés et les couleurs toujours, suggèrent aussi l'importance de Giacometti, mais les figures ne sont pas obtenues par les variations et les retours de la ligne ; elles sont prises dans la couleur, cimentées dans les couches successives, comme s'il s'agissait de les immobiliser . Ces peintures ont effectivement quelque chose de fragments de fresques détachés du mur . L'échelle n'est jamais très grande et le travail est lent et attentionné, hypnotisé par les recouvrements et les reprises et comme perdu en elles . Son recueillement laisse monter désirs et scènes qui ne peuvent toutefois devenir totalement clairs et doivent garder leur aspect mouvant et indistinct, leur secret . Le tableau ou le dessin est une sorte de miroir , mais passé au blanc ou embué . Le plus remarquable dans ce travail est certainement le mélange de culture et de violence sourde, de douceur et de fureur . La peinture d'Eric Dalbis est traversée d'une violence mal contenue qui s'adresse tout à la fois à la culture, au peintre et à nous-mêmes qui regardons . On sent monter et affleurer la volonté de tout brouiller, tout effacer, tout défaire, comme si au moment de faire oeuvre l'engagement total dans la peinture se retournait contre lui-même et sa propre futilité . Ces peintures semblent naître d'un désespoir . |